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Comment la numérisation transformera-t-elle l'industrie aéronautique de demain ?

30 juillet 2019 Les Cahiers d'été
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"ENAC Alumni vous invite à découvrir ses cahiers d'été... le temps d'une petite pause, retrouvez les articles de nos précédents magazines"

MS MTA 2016, Pierre-Alain Goujard est le vainqueur du premier prix de l’USAIRE Student Award 2016. Il présente ici le propos de son essai sur le thème de la numérisation qui a retenu l’attention du jury d’USAIRE (Association of United States and European Aerospace Industry Representatives).

 

Le trafic aérien va doubler d’ici 2030. Il faut doper les moyens de production et gérer des espaces aériens toujours plus saturés. Pour faire face à ce double défi, l’industrie aéronautique rentre de plain-pied dans sa transformation numérique.

De nouvelles possibilités apparaissent dans la construction, la maintenance et la mise en œuvre des aéronefs. Le contrôleur aérien et le pilote voient leur rôle évoluer. Les passagers, toujours plus connectés, attendent des services digitaux à bord, plus de personnalisation, plus de sécurité. La défense est à la pointe de la transformation, avec l’intégration sur le champ de bataille d’un système de systèmes alliant drones et aéronefs pilotés.

Mais dans cette course pour numériser l’aéronautique, comment faire le tri entre gadget et vraie rupture ? Entre simple buzz et tendance de fond ? Certaines avancées sont amenées à se banaliser, d’autres seront vite oubliées.

Une chose est sûre, l’impact du numérique dépasse largement le big data et les robots auxquels on l’associe. Un simple catalogue des nouveaux outils passerait à côté des principaux enjeux de cette transformation : dégager une vraie stratégie digitale, obtenir l’adhésion des employés, créer un système assez résilient pour honorer notre impératif de sécurité. Alors comment la numérisation transformera l’industrie aéronautique de demain ? En créant une cohérence de bout en bout. En permettant au trafic de doubler sans dégrader la sécurité. En amenant un subtil changement de culture. Toujours avec l’homme au cœur du système. Voici trois idées transversales à retenir dans les mutations en cours.

Numérisation : menace ou opportunité ?

Le plus grand risque associé à la numérisation de notre industrie est, curieusement, de ne pas s’y préparer. Elle doit être pensée en tant que système, pas appliquée par simple effet de mode. A court terme, les investissements en formation et en matériel seront nombreux, et les échecs fréquents – surtout si l’on cherche à aller trop vite. Mais plutôt qu’une improbable disruption, nous défendons l’incrémentation progressive du numérique, pour garantir la bonne intégration des nouveaux modes de travail.  Pour ouvrir de nouveaux horizons en parallèle des départements R&D traditionnels, Airbus Group a créé plusieurs fablabs (ateliers de prototypage), un bizlab (accélérateur de start-up) et même un centre d’innovations dans la Silicon Valley, en partenariat avec Local Motors. Ces initiatives montrent un intérêt soutenu pour les méthodes d’innovation issues du numérique. Des coaches de l’avionneur conseillent dans une atmosphère qui n’est pas sans rappeler les bureaux de Google… Sans concevoir le prochain avion de ligne, ces pépinières apportent en continu des innovations originales.

Prévalence du facteur humain

L’imprévu ne pourra pas être géré par les ordinateurs avant longtemps : une attaque cyber, un vol d’oies sauvages, une combinaison inédite de pannes… L’homme n’est pas le maillon faible de la transformation numérique. Il est son élément le plus résilient et le plus adaptable, un véritable filet de sécurité. Il a toute sa place dans les usines, les équipages, les tours de contrôle. Aussi numérisés que les procédés puissent devenir, il y aura toujours un point au-delà duquel ils devront être supervisés.

La science-fiction et la presse non spécialisée ont longtemps présenté les robots comme les remplaçants des humains. Ce sont plutôt des collaborateurs. Ils gèrent les tâches répétitives, tandis que les opérateurs se concentrent sur les opérations complexes, aidés de cobots (un bras articulé par exemple) quand la force humaine ne suffit pas. Le travail de précision est guidé grâce à des solutions de réalité augmentée, qui prescrivent les tâches en surimpression sur les pièces physiques pour guider les gestes.

Tout en acceptant que le changement soit progressif, la direction d’entreprise doit clairement expliquer son projet et soutenir le changement de modèle. Côté ressources humaines, la transformation numérique coïncide avec une opportunité historique. Aux Etats-Unis et en Europe, l’âge moyen du secteur est de 48 ans et 28% des employés actuels partiront à la retraite avant 2020. C’est l’occasion d’attirer de nouveaux profils orientés digital, qui s’intégreront facilement dans la transformation pour en constituer la force vive. Pour réussir l’intégration de ces talents, il faut miser sur la passion commune de l’aéronautique, qui a le pouvoir de réunir la génération précédente et les nouveaux venus.

Résilience des systèmes numérisés

Toute numérisation crée un cyber-risque. Le piratage, la corruption, l’appropriation des données par un hacker sont possibles à tous les niveaux (collecte, transfert, stockage, analyse). Tous les scénarios sont envisageables : simple nuisance, terrorisme, revente des données à un concurrent… Le big data impose une posture de cyberdéfense robuste, avec un coût conséquent et continu. Le danger de cyber attaque est particulièrement sensible pour le contrôle aérien, déjà malmené avec l’information en temps réel permise par des applications gratuites comme FlightRadar. Les modes d’action hostiles ne manquent pas, surtout que 2000€ d’investissement peuvent suffire à perturber sérieusement l’activité. Le déni d’accès (distributed denial of service) ralentit ou plante le Datalink par de nombreuses sollicitations d’appareils fantômes. Le spoofing crée de faux signaux GPS sur l’écran de contrôle… La liste est encore longue. Quelques protocoles sont toutefois encourageants : authentification des données, vérification de l’identité des entrants sur le réseau, capacité à revenir à un mode de fonctionnement dégradé (en phonie). La redondance des moyens satellites, terrestres, voire le relais entre avions pour la transmission des informations (à l’image de ce qui se fait déjà en phonie !) augmenteront la fiabilité et la résilience d’un système multi-link.

La numérisation, quand elle va trop vite, oblige l’industrie à se recentrer sur son fondamental impératif de sécurité. À chaque maillon de la chaîne digitale, qu’il soit physique ou immatériel, les acteurs doivent assurer protection et confidentialité des données tout en permettant le partage d’informations. Sans oublier que la capacité de revenir à un mode dégradé – dans un cockpit, une chaîne d’assemblage ou encore une tour de contrôle – est l’assurance vie des processus numériques.

 

A propos de l'auteur

Diplômé de l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr en 2004, Pierre-Alain Goujard a réalisé son rêve en devenant pilote d’hélicoptère dans l’aviation légère de l’armée de Terre. Qualifié sur SA 330 Puma, il a effectué de nombreuses missions et évacuations médicales lors de déploiements à l’étranger, totalisant ainsi 2000 heures de vol. Breveté de l’Ecole de Guerre, il suit actuellement un Master Spécialisé en Management du Transport Aérien à l’Ecole Nationale de L’Aviation Civile, pour ensuite représenter l’aviation d’Etat dans les instances multinationales (EASA, Eurocontrol…). pierrealain.goujard@yahoo.fr 

 

Retrouvez l'ensemble du dossier "Rencontre entre le sport d'excellence et l'aéronautique" dans le Mag#20 d'ENAC Alumni




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